ARCHITECTE – INGÉNIEUR

Dès le début des années 1960, les pouvoirs publics mettent en place des outils d’aménagement du territoire afin de développer les liaisons routières et réduire les inégalités entre les grandes villes et les espaces ruraux. Grâce à sa formation d’ingénieur, Maurice Novarina se rapproche des maîtres de l’innovation technique comme le constructeur Jean Prouvé, les ingénieurs Serge Kétoff, Bernard Lafaille et Ou Tseng pour la réalisation de nombreux bâtiments et ouvrages d’art.

Contexte

LA FRANCE S’ÉQUIPE
EN AUTOROUTES

Dès les années 1950, les pouvoirs publics entreprennent l’aménagement du territoire avec l’objectif de développer le réseau routier et autoroutier sur l’ensemble du pays. Un outil performant d’intervention est créé en 1963 : la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR). Une véritable reconquête territoriale est en marche. Pendant 20 ans les prouesses techniques permettent toutes les audaces. Les notions de paysage et d’environnement apparaissent, elles, au cours des années 1970. Suite à l’adoption des lois de décentralisation de 1982, l’Etat confie progressivement aux collectivités locales le pouvoir de décision en matière d’aménagement du territoire.

Les autoroutes du XXe siècle sont les nouveaux ouvrages d’art qui marquent le territoire mais également une époque. Elles répondent aux demandes politiques, économiques et sociales, dont les maîtres mots sont la communication et la commercialisation. Symbole de la mobilité, les autoroutes bouleversent les repères spatiaux temporels. L’ouverture de la France à l’Europe est clairement lisible dans l’espace. Des liaisons nouvelles sont créées comme le tunnel du Mont-Blanc (1965), le tunnel du Fréjus (1980), ou encore le tunnel ferroviaire sous la Manche (1996).

Repères

1935 : La première autoroute française (20 km entre Saint-Cloud et Orgeval à l’ouest de Paris) est déclarée d’utilité publique.

1955 : La France compte 80 km d’autoroute – Mise en place d’un régime de concession et du système de péage pour financer le programme autoroutier.

1963 : Création de la DATAR

1970 : La France compte alors 1000 km d’autoroute - L’Etat cède des parts à des sociétés privées pour la construction et la gestion des autoroutes.

1974 : Premier choc pétrolier - Faillite des sociétés concessionnaires ; l’Etat rachète certaines sociétés qui se voient intégrées au secteur public.

1982 : Lois de décentralisation

2007 : La France compte près de 6000 km d’autoroutes en service.

« Un comble pour l’autoroute : lieu de la délocalisation, jeu mobile de toutes les trajectoires, pourrait s’apparenter à ces « non lieux » […] bien qu’elle suractive l’idée de situation »

Cyrille Simonnet, L’autoroute est-elle belle ? Extrait de la revue Faces, n°44 1997, pp.6-9

TECHNIQUE ET ESTHÉTIQUE
DES BÂTIMENTS

Les progrès techniques et technologiques amènent les concepteurs à toujours plus de créativité dans leur production. L’architecture s’exprime alors à travers des techniques et des matériaux nouveaux tout en dessinant de nouvelles formes. L’esthétique de la technique bouleverse les idées reçues. Les nouveaux acteurs instaurent d’autres références et puisent leur inspiration dans le secteur industriel. Les matériaux réservés à l’industrie apparaissent dans le quotidien. La maison s’enveloppe de métal et de verre, les bâtiments dévoilent leurs structures. Le constructeur Jean Prouvé est l’un des précurseurs de cette démarche. Les détails constructifs et les matériaux bruts sont montrés et participent à l’esthétique de la construction. L’emploi de l’acier et de l’aluminium, entre autres, apporte une légèreté aux édifices et une facilité de mise en oeuvre.

Autour de Maurice Novarina

LES OUVRAGES
D’ART

Autoroutes et viaducs

Maurice Novarina réalise des viaducs et des entrées de tunnels à partir des années 1970 jusqu’à la fin de sa carrière. Sa formation initiale d’ingénieur semble, à une époque économiquement défavorable aux métiers de la construction suite au premier choc pétrolier, lui apporter cette possibilité de maintenir une activité. Les ponts et les viaducs restent les symboles de la maîtrise technique de l’homme, un événement dans le paysage. Selon Maurice Novarina l’impact de l’ouvrage d’art dans le paysage est à travailler avec la plus grande des finesses. La dérive d’une production de masse étant la banalisation des paysages.

Gares de péages, Autoroute A26, Saint-Omer, Pas-de-Calais, 1985

Gares de péages, Autoroute A26, Saint-Omer, Pas-de-Calais, 1985

Gare de péage, Autoroute A42, Saint-Maurice de Beynost, Ain, 1984 Les cabines de péages sont couvertes d’une structure métallique indépendante. La toiture courbée est supportée par une succession de doubles poteaux métalliques. Ces derniers se prolongent et fonctionnent comme des mats pour tendre la couverture.

Gare de péage, Autoroute A42, Saint-Maurice de Beynost, Ain, 1984 Les cabines de péages sont couvertes d’une structure métallique indépendante. La toiture courbée est supportée par une succession de doubles poteaux métalliques. Ces derniers se prolongent et fonctionnent comme des mats pour tendre la couverture.

Gare de péage, Autoroute A5-A160 entre Melun-Sens et Sens-Courtenay, Yonne, 1986

Gare de péage, Autoroute A5-A160 entre Melun-Sens et Sens-Courtenay, Yonne, 1986

Gares de péages, Autoroute A26, Saint-Omer, Pas-de-Calais, 1985

Gares de péages, Autoroute A26, Saint-Omer, Pas-de-Calais, 1985

Viaduc de Poncin, Saint-Denis-lès-Bourg, Ain, 1986

Viaduc de Poncin, Saint-Denis-lès-Bourg, Ain, 1986

Gare de péage, Autoroute A42, Saint-Maurice de Beynost, Ain, 1984 Les cabines de péages sont couvertes d’une structure métallique indépendante. La toiture courbée est supportée par une succession de doubles poteaux métalliques. Ces derniers se prolongent et fonctionnent comme des mats pour tendre la couverture.

Gare de péage, Autoroute A42, Saint-Maurice de Beynost, Ain, 1984 Les cabines de péages sont couvertes d’une structure métallique indépendante. La toiture courbée est supportée par une succession de doubles poteaux métalliques. Ces derniers se prolongent et fonctionnent comme des mats pour tendre la couverture.

Entrée du Tunnel de l’Epine, La Motte Servolex, Savoie, 1972

Entrée du Tunnel de l’Epine, La Motte Servolex, Savoie, 1972

Barrage de Sault Brénaz, Porcieu-Ambagnieu, Isère, 1986

Barrage de Sault Brénaz, Porcieu-Ambagnieu, Isère, 1986

« Que l’autoroute soit un ouvrage d’art en elle-même, implique essentiellement une méditation sur l’environnement. »

Maurice Novarina, Article L’autoroute dans notre espace/temps - L’apport des arts plastiques, p.3

« Les autoroutes, avec leurs raccordements internationaux, développent au contraire, une conception indifférenciée du monde : l’automobiliste qui peut désormais traverser d’un trait la France du Nord au Sud, et bientôt d’Est en Ouest, voit se dérouler devant lui un tapis de béton, tirant ainsi un trait sur des paysages qu’ils ne verra pas, ou plutôt, ne vivra pas. »

Maurice Novarina, Article L’autoroute dans notre espace/temps - L’apport des arts plastiques, p.3, (non daté).

Le viaduc de Nantua (A40) dans l’Ain est l’un des derniers projets conçus par Maurice Novarina. Le viaduc jaillit du tunnel de Chamoise puis s’enroule sous le Mont Cornet. Il est doublé en 1996 par le viaduc des Neyrolles afin de séparer les flux de véhicules. Un nouvel outil, la conception assistée par ordinateur (CAO), permet aux ingénieurs-concepteurs de définir précisément le tracé le mieux adapté d’un point de vue technique mais aussi esthétique. L’intégration paysagère du viaduc est prise en compte dès le début de la réflexion ainsi que la perception depuis la route nationale en fond de vallée.

Viaduc de Nantua, Ain, 1988

Viaduc de Nantua, Ain, 1988

Viaduc de Nantua, Ain, 1988 Les piles sont creuses et ont une section en caisson, adaptées aux flexions et à la pression du vent. la hauteur des piles varie entre 48 et 76 mètres. Les appuis sont radiants au tracé de l’autoroute. Le tablier est composé de 290 voussoirs caissons de 2,5 à 3,5 mètres, en béton précontraint.

Viaduc de Nantua, Ain, 1988 Les piles sont creuses et ont une section en caisson, adaptées aux flexions et à la pression du vent. la hauteur des piles varie entre 48 et 76 mètres. Les appuis sont radiants au tracé de l’autoroute. Le tablier est composé de 290 voussoirs caissons de 2,5 à 3,5 mètres, en béton précontraint.

LES STRUCTURES
ÉLABORÉES

Poétique de la technique

Maurice Novarina est consulté en 1947 par la Société des Eaux minérales d’Evian pour la conception d’une nouvelle Buvette de la Source Cachat, implantée dans le parc thermal récemment acquis au bord du lac Léman. Pour la version définitive du projet, approuvée en 1956, Maurice Novarina fait appel à Jean Prouvé, constructeur. Une équipe se forme alors : Maurice Novarina est l’architecte en chef ; Jean Prouvé le constructeur ; Serge Kétoff l’ingénieur, calcule la structure ; Jean Boutemain le collaborateur de Jean Prouvé, dessine les plans d’exécution et suit le chantier. De plan rectangulaire, la buvette est un volume clair, largement vitré, couvert par une toiture légère, faiblement courbée par les tensions réparties entre les points d’accroche à la structure verticale. Cette dernière est assurée par une succession de douze éléments en acier au profil particulier. Il s’agit d’un modèle de béquille asymétrique mis au point par Jean Prouvé à l’école à Zürich en 1953. Le procédé sera repris et adapté à l’école de Villejuif avec la collaboration de Serge Kétoff en 1957 ou encore à la piscine de Divonne-les-Bains réalisée par Maurice Novarina en 1968. Chaque béquille est indépendante des différents éléments, elle touche le sol par un ancrage articulé et ne soutient la toiture qu’en deux points de contact. La toiture mince est composée de plafond structural en bois précontraint recouvert de tôles d’aluminium. L’enveloppe transparente est ouverte sur le site, elle assure une continuité entre intérieur et extérieur. En 1958, Maurice Novarina et Serge Kétoff travaillent ensemble pour la construction de l’église Notre-Dame de la Rencontre à Amphion. Serge Kétoff réalise un système de structure tridimensionnelle : une charpente à quatre pans de forme pyramidale constituée de caissons triangulaires en planches. Le principe constructif libère l’espace : l’ensemble de la charpente est autoportant et repose sur les murs en béton banché formant l’enveloppe de l’édifice. La charpente est constituée de planches permettant une importante économie de bois. Afin d’éviter les déformations, les liaisons entre les éléments sont assurées par un noeud en tôle en forme d’étoile à six branches. L’assemblage triangulaire laissé volontairement apparent à l’intérieur anime les plafonds. Un des caissons de la partie zénithale est surmonté d’un lanterneau permettant à la lumière de pénétrer dans l’église et d’être dirigée vers l’autel.

Nouvelle Buvette, Evian-les-Bains, Haute-Savoie, 1954

Nouvelle Buvette, Evian-les-Bains, Haute-Savoie, 1954

Eglise Notre-Dame de la Rencontre, Amphion-Publier, Haute-Savoie, 1954-59Eglise Notre-Dame de la Rencontre, Amphion-Publier, Haute-Savoie, 1954-59Eglise Notre-Dame de la Rencontre, Amphion-Publier, Haute-Savoie, 1954-59

Eglise Notre-Dame de la Rencontre, Amphion-Publier, Haute-Savoie, 1954-59

Maison des Arts et des Loisirs, Thonon-les-bains, Haute-Savoie, 1963-66 Photographie de la maquette de la “ poutre-dalle “. La salle de 900 personnes est à double niveau. Elle est chapeautée d’un plafond structurant réalisé par l’assemblage de modules pyramidaux en béton moulé. Ces modules permettent la réalisation d’une structure tridimensionnelle. Des portées de 30 mètres sont franchies grâce à cette “ poutre-dalle ”. Un jeu de plein et de vide en plafond créé une variation visuelle.

Maison des Arts et des Loisirs, Thonon-les-bains, Haute-Savoie, 1963-66 Photographie de la maquette de la “ poutre-dalle “. La salle de 900 personnes est à double niveau. Elle est chapeautée d’un plafond structurant réalisé par l’assemblage de modules pyramidaux en béton moulé. Ces modules permettent la réalisation d’une structure tridimensionnelle. Des portées de 30 mètres sont franchies grâce à cette “ poutre-dalle ”. Un jeu de plein et de vide en plafond créé une variation visuelle.

Réservoirs d’eau, Alençon, Orne, 1964 C’est en 1964 que deux ensembles de trois réservoirs d’eau à Alençon dans l’Orne sont à l’étude par Serge Kétoff, Maurice Novarina étant architecte en chef de la ZUP.

Réservoirs d’eau, Alençon, Orne, 1964 C’est en 1964 que deux ensembles de trois réservoirs d’eau à Alençon dans l’Orne sont à l’étude par Serge Kétoff, Maurice Novarina étant architecte en chef de la ZUP.

Eglise Notre-Dame de la Rencontre, Amphion-Publier, Haute-Savoie, 1954-59

Eglise Notre-Dame de la Rencontre, Amphion-Publier, Haute-Savoie, 1954-59. Vue en coupe de l’église.

Eglise Notre-Dame de la Rencontre, Amphion-Publier, Haute-Savoie, 1954-59

Eglise Notre-Dame de la Rencontre, Amphion-Publier, Haute-Savoie, 1954-59. Détail du système constructif.

Centre nautique, Divonne-les-Bains, Ain, 1968.Centre nautique, Divonne-les-Bains, Ain, 1968.Centre nautique, Divonne-les-Bains, Ain, 1968. Maurice Novarina réemploie le système de béquille asymétrique de la buvette d’Evian.

Centre nautique, Divonne-les-Bains, Ain, 1968. Maurice Novarina réemploie le système de béquille asymétrique de la buvette d’Evian.

Jean Prouvé (1901-1984),
ingénieur-constructeur

A 18 ans, Jean Prouvé reçoit une formation dans les ateliers de ferronnerie d’art d’Emile Robert à Enghien en Belgique. Il ouvre son propre atelier à Nancy dès 1924. A partir de 1954, il conçoit des éléments de mobiliers avec Charlotte Perriand. En 1955, il s’associe à l’architecte Bataille pour la création des Ateliers Jean Prouvé, dont la production se rapproche d’une entreprise de charpente métallique. Les projets sont novateurs et tendent à mettre au point des logements économiques produits en grande série. En 1957, il élabore des systèmes de façades légères incluant un raidisseur : il s’agit du fameux mur-rideau. Il conçoit et réalise deux systèmes constructifs qui feront école : la toiture réticulaire à surface variable et le Tabouret (principe de poteau-poutre) mis au point notamment au Palais des expositions à Grenoble en 1968. Au cours de sa carrière, Jean Prouvé a l’occasion de collaborer avec des architectes talentueux de renom dont Bernard Zehrfuss, Jean de Mailly, Oscar Niemeyer. Ses recherches passent par de nombreuses expérimentations de nouveaux matériaux et composants dont certaines, pour être trop audacieuses, n’aboutiront pas. Aujourd’hui, ses meubles sont des références de la production du XXe siècle. Ses réalisations inspirent les nouvelles générations d’architectes et d’ingénieurs.

Serge Kétoff (1918- 2004),
architecte-ingénieur

D’origine russe, Serge Kétoff naît à Rome. Attiré par la sculpture, il s’inscrit à la faculté d’architecture. Son professeur Pier- Luigi Nervi l’incite à suivre une formation à l’Institut polytechnique de l’Université de Rome. Il en sort diplômé en 1946. Intéressé par les projets de Le Corbusier à Saint-Dié (Vosges), Serge Kétoff décide de gagner cette ville. Très vite, il y ouvre son agence d’ingénieurconseil. En 1951, Serge Kétoff a l’occasion de rencontrer Jean Prouvé. Ce dernier lui propose en 1956 de le rejoindre. Ensemble, ils collaborent au projet de la buvette d’Evian avec l’architecte Maurice Novarina. Leur collaboration se poursuit, entre autres, sur des projets d’écoles préfabriquées en aluminium. Sollicité pour ses compétences et sa créativité, Serge Kétoff travaille avec André Bloch, Jean Dubuffet, ou encore Charlotte Perriand. Le Corbusier lui demande de le rejoindre pour ses projets du parlement européen à Strasbourg et de l’église à Firminy. En 1980, sa rencontre avec Aimé Césaire le conduit à réaliser de nombreux projets d’envergure à La Martinique comme la gare de croisière à Fort-de- France, l’aérogare et la tour de contrôle de l’aéroport Lamentin (entre 1883 et 1991).