LES GRANDS PROJETS D’URBANISME
L’activité d’architecte en chef de la Reconstruction incite Maurice Novarina à une pratique d’urbaniste. Les années 1960 voient naître les « grands ensembles » d’habitations issus des politiques de logements de masse, aménagés sur des terrains en périphérie des villes et soumis aux nouveaux raisonnements constructifs de préfabrication.
Contexte
L’EXTENSION
URBAINE
Si, pendant la période de la Reconstruction, les aménagements concernent des parcelles autonomes, à partir des années 60, le territoire entier est modifié par l’extension urbaine. L’insalubrité des logements d’avant guerre était déjà un problème. Le nombre de personnes à reloger reste important, malgré les actions du MRU. A partir de 1955, le problème du logement s’accentue avec l’arrivée de travailleurs dans les grandes villes industrielles et le retour des habitants des colonies, d’Indochine en 1955 et d’Algérie, en 1962. Les municipalités achètent alors des terrains en périphérie des centres villes : terres agricoles ou militaires, parcellaire réorganisé auparavant lors de remembrements.
Un nouveau paysage urbain :
LA VILLE ET LA VOITURE
Ces zones d’habitations sont aménagées à partir d’axes de circulation, liens essentiels avec la ville existante. La voiture, nouvel outil de la société moderne, révolutionne le quotidien. La rue devient une simple voie de circulation, large et fonctionnelle. Les Congrès Internationaux d’Architecture Moderne (CIAM) génèrent les modèles de l’aménagement urbain : les flux piétons sont séparés des flux automobiles, des parkings souterrains sont prévus pour faciliter l’accès aux immeubles et libérer des espaces communs. Au coeur des îlots, la végétation se développe, pour offrir des espaces de loisir.
L’ÎLOT VERTICAL
La nécessité de densifier les zones bâties entraîne la création de tours, hautes de 10 ou 20 étages. L’îlot vertical prend la place de l’îlot traditionnel de la ville ancienne.
L’HABITATION
Les grands ensembles des années 1950 sont sous l’influence des Unités d’habitations qui redéfinissent les principes d’hygiène, de fonctionnalité, de confort et d’organisation de la société. La cellule d’habitation est le coeur vivant d’un grand ensemble. Les pièces de l’appartement sont séparées et fonctionnelles. Les caractéristiques du logement sont désormais tournées vers la lumière, les grandes baies vitrées, l’eau courante, les sanitaires individuels, le chauffage central, l’aération… Les années 1960 marquent une évolution du mode de vie des familles : appareils, robots ménagers, cuisine équipée, meubles en formica sont utilisés au quotidien, comme l’encourage tous les ans le Salon des Arts Ménagers de Paris.
Ensemble de Viry-Châtillon, Essonne, croquis de Maurice Novarina, 1960.
Ensemble de Viry-Châtillon, Essonne, 1961-1966 : 3 300 logements, répartis en 9 tours de 8 étages, 2 barres de 7 étages et des bâtiments bas.
Ensemble de Viry-Châtillon, Essonne, 1961-1966.
Tour, Rueil-Malmaison, Hauts-de-Seine, 1959.
Revue Sciences et vie, années 1960.
« D’une manière générale, on entend par urbanisme l’aménagement et l’organisation fonctionnelle et esthétique du territoire, en vue des besoins de l’homme : habitation, circulation, loisirs, hygiène ; et dans un avenir plus lointain, l’organisation des espaces aériens et souterrains. L’urbanisme est à la fois un art et une science. »
Maurice Novarina, interview de M. Avril pour le Messager, 1955.
Les CIAM et la Charte d’Athènes :
la naissance de l’urbanisme moderne
Les Congrès Internationaux d’Architecture Moderne sont créés en 1928 lors d’une rencontre de plusieurs architectes et théoriciens comme Giedon, Le Corbusier, May, dans le but d’établir les bases de l’architecture nouvelle. A Athènes en 1933, le CIAM propose une véritable doctrine urbanistique. Les thèmes abordés sont ceux de la ville et sa région, de l’habitation, des loisirs, du travail, de la circulation et du patrimoine.
« 26. Un nombre minimum d’heures d’ensoleillement doit être fixé pour chaque logis.
[…]
35. Tout quartier d’habitation doit comporter désormais la surface verte nécessaire à l’aménagement rationnel des jeux et sports des enfants, des adolescents, des adultes.
[…]
46. Les distances entre lieux de travail et lieux d’habitation doivent être réduites au minimum.
[…]
62. Le piéton doit pouvoir suivre d’autres chemins que l’automobile.
[…]
77. Les clefs de l’urbanisme sont dans les quatre fonctions : habiter, travailler, se récréer (dans les heures libres), circuler.
[…]
87. Pour l’architecte, occupé ici à des tâches d’urbanisme, l’outil de mesure sera l’échelle humaine.
[…]
95. L’intérêt privé sera subordonné à l’intérêt collectif. »
Extraits de La Charte d’Athènes, Le Corbusier, Edition du Seuil, 1942, extraits.
Le Corbusier (1897-1965)
Charles-Edouard Jeanneret dit Le Corbusier est architecte, urbaniste et peintre français d’origine suisse. Il incarne la figure de l’architecte moderne, visionnaire, fasciné par les révolutions techniques et l’univers de l’industrie. Il participe activement aux CIAM (Congrès International d’Architecture Moderne) et formule des idées sur la ville nouvelle, en opposition claire avec la ville ancienne dont « les îlots insalubres devront être démolis ». Déjà en 1927, il exposait ses cinq principes de l’architecture nouvelle : - les pilotis, qui libèrent le sol de l’emprise du rez-de-chaussée et offrent une transparence visuelle sur le paysage ; - le plan libre, qui s’oppose à l’empilement traditionnel des cloisons sur les murs porteurs ; - la fenêtre en longueur, qui offre une vue panoramique sur l’environnement ; - la façade libre, qui se place à l’avant des poteaux structurants - le toit-terrasse, cinquième façade, qui propose un espace extérieur accessible. Il affirme cette doctrine dans ses réalisations comme la Villa Savoye à Poissy (Yvelines), le Couvent de la Tourette (Rhône), la chapelle de Ronchamp (Haute-Saône), les Unités d’habitation… La Cité radieuse de Marseille, unité d’habitation pour 1600 personnes, construite entre 1947 et 1952, expérimente ce nouveau cadre de vie : les pilotis portent le bâtiment sans couper le sol du parc existant ; les rues intérieures desservent les appartements conçus en duplex et orientés de façon à bénéficier d’un ensoleillement maximum ; des commerces sont intégrés au 3ème niveau : boulangerie, bureau de poste, centre commercial. Une école maternelle accueille les enfants sur le toit.
Création des ZUP
En 1958, des ordonnances gouvernementales créent les Zones à Urbaniser en Priorité. Le décret d’application permet aux communes d’acquérir rapidement, y compris par l’expropriation, des terrains pour leurs nouvelles opérations. Édifiées en frange de ville entre 1960 et 1975, les ZUP forment des quartiers nouveaux, comprenant des logements et des équipements (commerces, crèche, centre social, église…). En 1967, les ZAC (Zone d’Aménagement Concerté) remplacent les ZUP dans une loi foncière.
Plan masse de la ZUP de Novel, secteur sud, Annecy, Haute-Savoie, 1961-1969.
Maquette de la ZUP de Planoise, Besançon, Doubs, 1960.
Centre commercial de la ZUP de Planoise, Besançon, Doubs, 1960.
ZUP des Mesnils Pasteur, Dôle, Jura, 1961.
Plans-types des appartements de Viry-Châtillon, 1961.
Autour de Maurice Novarina
LES GRANDS ENSEMBLES
C’est entre 1960 et 1970 que Maurice Novarina travaille sur les grands ensembles, toujours assisté d’autres architectes. Les échelles de réflexion concernent autant le plan masse général que la cellule de l’appartement.
La ZUP d’Annecy, 1960
A Annecy, la ZUP de Novel Sud marque le début d’un long projet d’urbanisation : l’avenue de France est tracée dès 1948, axe structurant des nouveaux quartiers de logements annéciens (Cité du Parmelan, Novel, les Teppes) et la ZUP se construit par étapes. En opposition aux alignements de la ville traditionnelle, l’implantation des immeubles se fait au coeur des îlots. La ville est conçue pour l’homme à pied, ce que Jacques Lévy, collaborateur de Maurice Novarina dès le début du projet, qualifie d’urbanisme modeste.
Les ZUP de Besançon et Dôle, 1961
A Dôle, la ZUP des Mesnils Pasteurs et à Besançon la ZUP de Planoise, prennent la même forme urbaine, autonomes et distinctes de la ville historique. Les équipements : centre commercial, école, centre médico-social font partie intégrante du projet.
Ensemble de la Duchère à Lyon, 1962
Le quartier de la Duchère occupe un site lyonnais remarquable, sur les hauteurs, au nord-ouest de la ville. François-Régis Cottin, architecte en chef de l’opération, orchestre le plan d’ensemble et les réalisations pour la Société d’Equipement de la Région Lyonnaise (SERL), nouveau grand opérateur immobilier. Le secteur du Château est confié à Maurice Novarina : une église à plan carré, une barre et quatre tours sont construites.
Le Village Olympique de Grenoble, 1968
Le quartier du Village Olympique est construit sur d’anciens terrains militaires au sud de l’agglomération. Cet ensemble, à l’origine prévu pour l’hébergement des athlètes et accompagnateurs des Jeux Olympiques de 1968, est converti en quartier d’habitations mixtes. L’ensemble composé de tours de 15 niveaux et de barres de 3 étages est séparé des circulations automobiles. Les cheminements piétons à l’intérieur de l’îlot permettent d’accéder facilement au parc et aux équipements publics tels que la crèche ou l’école. La composition rappelle celle d’un village. Les façades sont animées par le bois, en bardage, ou sur les balcons.
Vue aérienne du Village Olympique, Grenoble, Isère, 1968.
Immeubles du Village Olympique, Grenoble, Isère, 1965-1968.
Maquette du Village Olympique, Grenoble, Isère, 1965. Le plan général distingue les circulations, les immeubles d’habitation (barre ou tour) et les espaces verts.
LES RÉNOVATIONS URBAINES
La Rénovation du centre ville de Thonon-les-Bains est un des derniers grands projets de l’architecte, réalisé entre 1975 et 1985. La démarche est distincte des ensembles urbains modernes car les constructions se placent en prolongement de la ville historique et non en coeur d’îlots. Après de nombreuses destructions, les logements neufs recréent un tissu urbain, organisé autour de petits espaces publics. L’architecte introduit l’arcade au rezde- chaussée des immeubles, élément inédit à Thonon-les-Bains. Ce projet a mis du temps à aboutir, provocant de nombreux débats entre les politiques et les usagers. L’idée de « la ville nouvelle dans la ville ancienne », slogan des sociétés immobilières de l’opération, arrive alors tardivement. L’époque des grandes opérations urbaines est révolue.
Vue aérienne du quartier de la Rénovation, Thonon-les-Bains, Haut-Savoie, 1975-1985.
Maquette du quartier de la Rénovation, Thonon-les-Bains, Haute-Savoie, 1975.
LES ESPACES VERTS
Maurice Novarina travaille régulièrement avec Willem Den Hengst, paysagiste. Ils mettent en place des parcs et aménagent les centres d’îlots. Les surfaces vertes sont traversées par des chemins pavés, éclairés le soir, équipées d’un mobilier urbain standardisé et agrémentées de fontaines ou de sculptures.
Cité de Vouilloux, Sallanches, Haute-Savoie, 1970-1972.
Quartier de Champ Fleuri, Seynod, Haute-Savoie,1971-1975. L’ensemble est parfaitement intégré au site. Situé sur une vaste colline surplombant la ville, le terrain bénéficie d’une rivière en contrebas et de haies bocagères.