ART ET ARCHITECTURE

Maurice Novarina est très lié aux artistes plasticiens dès le début de sa carrière. D’abord enrichi par les commandes d’édifications d’églises, ce réseau est maintenu et développé. Une grande partie de sa production intègre une commande artistique.

Contexte

ARCHITECTURE
ET ARTS PLASTIQUES

Si l’Art et l’Architecture sont deux disciplines qui se côtoient depuis toujours, leur valorisation réciproque bâti a évolué. Les problématiques architecturales et urbaines du XXe siècle semblent redéfinir le rôle des arts plastiques. L’art comme ornement d’architecture Durant l’Epoque moderne et au cours du XIXe siècle, les artistes, peintres et sculpteurs, participent pleinement à l’élaboration du cadre bâti. Les missions qui leur sont confiées consistent à orner les édifices, à leur donner une dimension symbolique. Leurs interventions se placent en continuité du processus de projet architectural. L’architecture se radicalise en supprimant l’ornement Au début du XXe siècle, la place des artistes dans l’architecture est menacée. Les nouveaux concepts architecturaux se radicalisent en réaction à l’éclectisme des périodes passées. Les architectes engagés dans ce renouveau radical suppriment toute intervention d’artistes dans leurs réalisations. L’architecture est fonctionnelle et cherche à exprimer des choix constructifs associés à un programme précis. Ainsi, pour respecter la justesse de la forme, aucun ornement ne peut être rapporté. Les jeux de lumière, les choix de couleurs font partie intégrante de la conception architecturale. De la commande volontaire au cadrage légal Parallèlement à ces courants architecturaux émergents liés aux nouveaux modes de construction, une remise en cause profonde de la pratique artistique est en marche. De expressions avant-gardistes naissent avec l’emploi de nouvelles techniques. Les artistes, intervenant sur de nouveaux types d’espace produits par l’architecture moderne, adaptent leur démarche, loin de la décoration. Dans ce contexte d’évolution de l’Architecture et de ses doctrines, des politiques volontaristes sont menées afin de favoriser l’intervention des artistes. Ainsi, dès l’entre-deux-guerres et dans le cadre particulier de la commande religieuse, le renouveau de l’Art sacré encourage l’association des artistes à l’architecture.

Eglise de Notre-Dame de Toute Grâce, Plateau d’Assy, Haute-Savoie, 1937-46. Des artistes de renoms ont participé au renouveau de l’art sacré comme Fernand Léger, Henri Matisse, Georges Braque, Georges Rouault, Jean Bazaine, Germaine Richier, Pierre Bonnard, Jean Lurçat…

Eglise de Notre-Dame de Toute Grâce, Plateau d’Assy, Haute-Savoie, 1937-46. Des artistes de renoms ont participé au renouveau de l’art sacré comme Fernand Léger, Henri Matisse, Georges Braque, Georges Rouault, Jean Bazaine, Germaine Richier, Pierre Bonnard, Jean Lurçat…

Eglise du Sacré-Coeur, Audincourt, Doubs, 1949-52. Fernand Léger (vitraux du choeur et tapisserie maître-hôtel), Jean Bazaine (vitraux et mosaïques en façade), Jean Barillet (maître verrier, réalisation du vitrail du baptistère), Jean Le Moal (vitraux crypte, pavement et mosaïque murale).

Eglise du Sacré-Coeur, Audincourt, Doubs, 1949-52. Fernand Léger (vitraux du choeur et tapisserie maître-hôtel), Jean Bazaine (vitraux et mosaïques en façade), Jean Barillet (maître verrier, réalisation du vitrail du baptistère), Jean Le Moal (vitraux crypte, pavement et mosaïque murale).

Eglise du Sacré-Coeur, Audincourt, Doubs, 1949-52.

Eglise du Sacré-Coeur, Audincourt, Doubs, 1949-52.

Autour de Maurice Novarina

L’ARCHITECTE
ET LES ARTISTES

Maurice Novarina accorde, dès ses premières commandes, une grande importance à l’association de l’Art et de l’Architecture. Sa volonté d’intégrer les oeuvres d’art à ses projets, parfois absentes de la commande initiale, servira sa renommée au-delà des limites régionales.

« Le problème de cette collaboration entre les arts est délicat ; mais il doit être posé, en principe, à la naissance du projet. […] Une communion de pensées s’établira […] La décoration s’intégrera à l’architecture ; elle n’aura plus le caractère factice, déplorable, tant de fois contesté. »

Maurice Novarina, Sur une collaboration entre architectes, les peintres et les sculpteurs, Lettre, 1952, Archives de l’agence Novarina

Une association favorisée par la commande religieuse

Le père Ambroise, curé bâtisseur de Notre-Dame du Léman à Vongy (1933), ainsi que le Chanoine Devemy, fondateur de l’église Notre-Dame de Toute Grâce (1936-46) du plateau d’Assy, ont certainement éveillé en Maurice Novarina cette envie d’associer des artistes à l’architecture. Le rôle du Père Couturier est prépondérant dans le choix des artistes invités à participer au renouvellement de l’Art sacré tels que Fernand Léger, Georges Rouault, Jean Bazaine, Henri Matisse, Georges Braque, Pierre Bonnard, Marc Chagall, Jean Lurçat entre autres.

« Voici Léger. Voici Lurçat. Voici les premiers Rouault admis dans une église. Voici, dans la pénombre, Pierre Bonnard. Voici cet autel du Saint-Sacrement où le Christ reçoit le double hommage silencieux de Braque et de Matisse. »

Marie Alain Couturier, La leçon d’Assy, Livret consacré à Notre-Dame de Toute Grâce par les éditions paroissiales d’Assy, 1993.

Si l’église d’Assy (1937-1946) incarne ce renouveau, l’église du Sacré-Coeur à Audincourt (1949-1952) affirme cette volonté d’exprimer à travers une production artistique avant-gardiste la nouvelle posture de l’Eglise. L’église Notre-Dame des Alpes à Saint-Gervais Le Fayet (1936-1939) s’inscrit également dans cette démarche. Maurice Novarina fait appel au groupe d’artistes suisses Saint-Luc, proche de Cingria pour la décoration intérieure.

Une pratique d’association devenue courante

Une fidélité sans faille lie l’architecte à ses artistes favoris dans le temps et dans l’espace de sa production. La première rencontre entre Emile Gilioli et Maurice Novarina a lieu au cours du projet de l’Hôtel de ville de Grenoble (1968). Dans les années qui suivent, l’architecte lui confie plusieurs réalisations d’oeuvres : l’aménagement du choeur et le mobilier de l’église Notre-Dame du Rosaire à La Tronche (1969), à côté de Grenoble, ainsi qu’une mosaïque pour le Périscope à Paris (1978).

Il en est de même avec le sculpteur Pierre Sabatier qui intervient auprès de Maurice Novarina dès 1956 pour la réalisation du tabernacle en cuivre repoussé de l’église Saint-André à Ezy-sur-Eure, puis dans différents édifices publics ou privés comme l’église Notre-Dame de la Paix à Villeparisis (1957), l’Hôtel de ville de Grenoble (1968), ou encore la tour Super-Italie à Paris (1970).

Certaines oeuvres sont de véritables dispositifs spatiaux. Pierre Sabatier revendique la complémentarité de l’art et de l’architecture dans la création d’espaces. Le mur claustra amovible en laiton découpé de la salle des mariages de l’Hôtel de ville de Grenoble, ainsi que le panneau mural du salon de réception intégrant une porte pivotante en cuivre sont la démonstration même d’une réflexion artistique associée très tôt au processus d’élaboration du projet architectural.

Courrier d’une entreprise de vitrail et mosaïques d’art pour l’église de Vongy, 1934.

Courrier d’une entreprise de vitrail et mosaïques d’art pour l’église de Vongy, 1934.

Hôtel de Ville de Grenoble, Isère, 1968. Pierre Sabatier, salle de réception.

Hôtel de Ville de Grenoble, Isère, 1968. Pierre Sabatier, salle de réception.

Hôtel de Ville de Grenoble, Isère, 1968. Pierre Sabatier, Alfred Manessier, salle des mariages

Hôtel de Ville de Grenoble, Isère, 1968. Pierre Sabatier, Alfred Manessier, salle des mariages.

Hôtel de Ville de Grenoble, Isère, 1968. Charles Gianferrari, Etienne Hadju, patio.

Hôtel de Ville de Grenoble, Isère, 1968. Charles Gianferrari, Etienne Hadju, patio.

« La participation des artistes n’est pas un complément, une caution, mais doit être pensée dans le mouvement même de la conception, car l’architecte travaille déjà lui-même dans la symbolique. »

Maurice Novarina, Article L’autoroute dans notre espace/temps. L’apport des arts plastiques.p.2, non daté

La politique de l’art

C’est à 1936 que remonte l’idée de réserver un pourcentage du coût des constructions publiques à la décoration monumentale, afin de restaurer les conditions d’un dialogue entre art et architecture. Créé en 1951, le « 1% artistique » est un dispositif qui permet de consacrer, à l’occasion de la construction ou de l’extension d’un bâtiment public, un financement représentant un pour cent du coût total des travaux, pour la commande ou l’acquisition d’une ou plusieurs oeuvres d’art spécialement conçues par des artistes contemporains, pour être intégrées au bâtiment ou dans ses abords. Un décret daté de 1972 élargit son champ d’application à l’environnement, orientant ainsi les commandes publiques vers le cadre urbain. Née d’une volonté politique, la mise en place de la réglementation du « 1% artistique » tend à favoriser la rencontre entre un artiste, un architecte et le public.

Source: www.legifrance.gouv.fr

UNE CONTRIBUTION
RÉCIPROQUE

Si certaines oeuvres architecturales sont aujourd’hui protégées au titre des Monuments Historiques avant tout pour les productions artistiques, l’initiative d’une association réussie entre un architecte et des artistes est particulièrement remarquable. Incontestablement, l’église Notre-Dame de Toute Grâce du plateau d’Assy est le projet le plus connu mais également le plus abouti de ce point de vue. Maurice Novarina participe à ce formidable projet dont les enjeux lui échappent certainement au départ. Il se voit alors porté sur les devants de la scène architecturale. Il profite très tôt d’une reconnaissance internationale propulsant rapidement sa carrière. L’une des grandes qualités de Maurice Novarina est d’avoir su s’entourer, tout au long de sa carrière, de personnalités talentueuses pour servir son oeuvre.

Esquisse (aquarelle) du Couvent de la Tourette à Eveux, Rhône, 1946.

Esquisse (aquarelle) du Couvent de la Tourette à Eveux, Rhône, 1946.

Alfred Manessier (1911-1993),
peintre

Originaire de Picardie, Alfred Manessier s’inscrit à l’École des Beaux-arts de Paris en 1929. Il s’initie à l’architecture, à la fresque pour finalement s’orienter vers la peinture. Il s’intéresse également à la tapisserie et au vitrail. Il participe activement au renouveau de l’art sacré. En 1948, il produit des vitraux nonfiguratifs pour l’église Sainte-Agathe des Bréseux (Doubs). Il rencontre Maurice Novarina pour le projet de l’église Notre-Dame de Plaimpalais à Alby-sur-Chéran (Haute-Savoie) et réalise l’ensemble des vitraux en 1978. Son oeuvre est consacrée par le Grand Prix de Peinture en 1962.

Eglise Notre-Dame de Plaimpalais, Alby-sur-Chéran, Haute-Savoie, 1954-60.

Eglise Notre-Dame de Plaimpalais, Alby-sur-Chéran, Haute-Savoie, 1954-60. Alfred Manessier conçoit les vitraux de l’église Notre-Dame de Plaimpalais en 1978. Dans la sobriété décorative de l’église, les vitraux de style non figuratif s’animent au fil des heures. Le système de “ dalle de verre ” enchâssé dans des montures de ciments permet de réaliser des vitraux de grande surface (5mx8m).

Emile Gilioli (1911-1977),
sculpteur

Après avoir passé son enfance en Italie, Emile Gilioli part étudier à l’Ecole des Arts Décoratifs de Nice en 1928. Trois ans plus tard, il est admis à l’Ecole Nationale des Beaux-arts de Paris, dans la section Sculpture. Il expose pour la première fois en 1941 à Grenoble. Rapidement, les commandes de sculptures pour des églises et des monuments commémoratifs font sa renommée dans le département de l’Isère et la région Rhône-Alpes (Mémorial de Voreppe en 1945, le Monument aux Déportés de l’Isère en 1949, le Monument des Martyrs du Vercors en 1951). Emile Gilioli est l’un des chefs de file de l’abstraction lyrique dans la sculpture des années 1950. Son expression artistique passe par des matériaux classiques tels que le marbre, l’onyx, le bronze doré… La simplicité, le dépouillement et l’élancement de ses oeuvres tendent à lier le graphisme au volume. Le Monument National de la Résistance du plateau des Glières, inauguré en 1973 par André Malraux, abrite une crypte. Depuis longtemps, cette notion d’oeuvre habitable lui est chère.